La chambre basse du parlement de la République Démocratique du Congo a connu des moments de turbulence durant lesquels nombreux de ses membres se sont alignés derrière une pétition contre leur premier vice-président, Jean-Marc KABUND. Après sa déchéance, ce dernier a utilisé des moyens de droit pour se voir rétabli dans ses prérogatives. Entre-temps, l’organisation de l’élection censée conduire à son remplacement a été amorcée.

D’entrée de jeu du conseil d’Etat, la juridiction suprême de l’ordre administratif, qui interdit l’accès des élus au sein de la chambre parlementaire, en vue d’élire un nouveau premier vice-président, a mis de l’huile sur le feu. Nombreux sont de cet avis que ladite juridiction ne peut influencer ou prendre des décisions s’imposant au pouvoir législatif, étant donné qu’ils n’ont aucun lien organique et au regard du principe de séparation du pouvoir. C’est ainsi, qu’il est nécessaire de donner une explication sur la relation entre le conseil d’Etat et l’Assemblée nationale, tout en concluant par l’analyse initiée par Monsieur Jean Marc KABUND.
DE LA RELATION ENTRE LE POUVOIR JUDICIAIRE ET LEGISLATIF : CAS DU CONSEIL D’ETAT ET DE L’ASSEMBLEE NATIONALE
Entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, il doit exister une séparation des pouvoirs mais pour autant il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. La Constitution congolaise du 18 février 2006 en son article 100, dispose que le parlement vote les lois, contrôle le Gouvernement, les entreprises publiques ainsi que les établissements et les services publics. Néanmoins, Il arrive que le parlement pose d’autres actes que ceux qui lui sont attribués par l’article 100 de la constitution notamment les actes d’assemblée. Le groupe de mots « actes d’assemblée » recouvre les actes non législatifs du parlement.
Par ailleurs, un acte législatif est un acte portant normes générales, impersonnelles et obligatoires émanant d’une assemblée populaire ou de l’exécutif dans les respects des normes prévues par la Constitution congolaise. Cette indication recouvre donc les lois, les édits provinciaux et les actes ayant force de loi.
Cependant, par actes d’assemblée, on entend les actes pris par le parlement en dehors de sa mission principale qui est celle d’élaborer la loi. Ce sont des actes indispensables au fonctionnement des Assemblées parlementaires. A titre d’exemple, nous avons les questions orales ou écrites avec ou sans débat, la motion de défiance, de censure, l’adoption des règlements intérieurs des chambres parlementaires, du Congrès, des commissions parlementaires, les résolutions, les recommandations, etc.
Néanmoins, il est important de signaler que tout acte pris par le parlement en dehors de sa mission d’élaborer la loi ne constitue pas pour autant un acte d’assemblée. Certains actes pris par les présidents des assemblées parlementaires peuvent se révéler être des actes administratifs. A titre d’exemple, les décisions d’affectation des agents de carrière des services publics de l’Etat mis à leur disposition, etc.
A cet effet, nous devons faire le distinguo entre, d’une part, les actes d’assemblée, d’autre part, les actes administratifs, en vue de connaître les juridictions compétentes de l’un et de l’autre.
L’acte administratif étant un acte juridique pris par une autorité administrative, le conseil d’Etat se trouve en principe, être compétent pour connaître des irrégularités liées à cette matière. Au demeurant, la cour constitutionnelle peut aussi connaître des irrégularités liées à des actes administratifs mais dans le seul cas où ces actes administratifs sont réglementaires, ont un caractère général et impersonnel. En plus d’être seule compétente sur les actes d’assemblée, la cour constitutionnelle se voit bénéficier, par la constitution, d’une compétence propre au conseil d’Etat : celle du contrôle des actes administratifs réglementaires. Par conséquent, comme le dit le professeur Dieudonné KALUBA DIBWA, dans sa thèse sur le contentieux constitutionnel en République démocratique du Congo, le juge constitutionnel restera compétent toutes les fois qu’un acte administratif réglementaire ne peut être contrôlé par le juge administratif au motif qu’il serait un acte de gouvernement.
Après une analyse des concepts actes législatifs, actes d’assemblée et actes administratifs, nous pouvons alors juger de manière concrète la compétence du conseil d’Etat dans l’affaire KABUND.
DE LA PROCEDURE EN REFERE-LIBERTE DEVANT LE CONSEIL D’ETAT
En date du 08 juin 2020, l’honorable Jean Marc KABUND a saisi le conseil d’Etat en procédure de référé (conformément à l’article 278 de la loi du 15 octobre 2016 portant juridiction de l’ordre administratif) pour contester la décision fixant le calendrier de l’élection ainsi que l’installation de son successeur au bureau de la chambre basse du parlement. Sa demande auprès de cette haute cour réside sur le fait d’enjoindre au bureau de l’assemblée nationale, par sa Présidente Jeannine MABUNDA, de surseoir l’élection du nouveau premier-vice président.
Qu’est ce qu’une procédure en référé ?
La procédure en référé est celle à travers laquelle on demande à une juridiction d’ordonner des mesures provisoires de façon rapide afin de préserver les droits du demandeur. Cette procédure devant les juges administratifs tend donc à avoir, auprès de cette juridiction, des mesures provisoires permettant de préserver ses droits.
Dans notre cas d’espèce, il sied de relever que monsieur KABUND a saisi le juge administratif, juge des référés, pour demander la suspension de la décision administrative de l’organisation de l’élection qui donne lieu à son remplacement en attendant l’arrêt de la cour constitutionnelle saisie pour analyser sa déchéance.
Notons que l’article 283 de la loi du 15 octobre 2016 sur les juridictions de l’ordre administratif indique que lorsqu’une décision administrative porte gravement atteinte et de manière manifestement illégale à une liberté publique et/ou fondamentale, le juge des référés saisi par une demande en référé-liberté peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la liberté. Le juge des référés se prononçant dans les quarante-huit heures lorsqu’il statue en référé-liberté.
Ainsi, se déclarant régulièrement saisi, le conseil d’Etat va en date du mercredi 10 juin 2020, rendre une ordonnance en référé-liberté ordonnant la suspension de l’élection de la nouvelle vice-présidente proposée par l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS).
Néanmoins, la déchéance d’un membre du bureau de l’assemblée nationale étant un acte d’assemblée, son annulation ne peut être ordonnée que par la cour constitutionnelle. C’est ainsi, que monsieur KABUND saisira cette juridiction pour essayer de se voir rétabli dans ses droits.
En guise de conclusion, l’article 151 de la constitution à son alinéa 2 indique que le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution. Les mesures provisoires prises par la juridiction administrative doivent donc être respectées.
Riphat MUDIAMBE SANTU /Licencié en droit public, chercheur scientifique ,chargé des questions juridiques du mouvement « il est temps ».